Christophe Dolbeau: France-Croatie
FRANCE - CROATIE 15/23

C. Dolbeau
A l'appui de cette observation, Mirko Deanoviæ signale même (70) l'existence (vers 1755) d'une librairie française dont le propriétaire s'attire quelques ennuis avec les autorités pour avoir diffusé, sans autorisation, les très subversives "Lettres Juives" du marquis Jean-Baptiste de Boyer d'Argens...

Rudjer Boskovic

A Paris, dans le même temps, c'est l'étonnante personnalité de Rudjer Josip Boskoviæ (1711-1787) qui retient l'attention. Géomètre, mathématicien, hydraulicien et astronome, ce jésuite croate s'avère également fin diplomate, grand philosophe et habile poète. Non content de mener à bien ses recherches, de mettre au point divers instruments de précision (micromètre, télescope) et de publier plusieurs dizaines d'ouvrages techniques, il se consacre aussi à la rédaction de sa "Philosophiae naturalis theoria redacta ad unicam legem virium in natura existentium" qui préfigure toute la science atomique moderne, peut- être celle du XXIe siècle, et dont la première édition paraît en août 1758 (71). "Certaines des réflexions de Boscovich, écrit Jacques Bergier (72), sur les rapports de l'esprit et de la matière, sur le temps, sur les espaces parallèles et les autres temps, constituent le seul cas connu de superscience plus avancée que la nôtre et pourtant décrite clairement avec des mathématiques assez simples". Directeur de l'Optique Militaire de la Marine et membre correspondant de l'Académie Royale des Sciences, Boskoviæ devient l'ami de la plupart des savants de l'époque comme Le Sueur, Jacquier, Clairaut, La Condamine, Nollet, Le Monnier, Buffon, ou Lalande.

Spécialiste averti des questions est- européennes et balkaniques, il fréquente aussi les ministres Vergennes et Choiseul auxquels il prodigue d'utiles conseils. Préoccupés par le problème polonais, les milieux gouvernementaux commencent d'ailleurs à s'intéresser de plus en plus au monde slave. Le XVIIe siècle a vu la parution successive de plusieurs relations de voyage (celles de Lescalopier, Palerme, Jacques d'Angusse, Du Loir, Quiclet, et Poullet) qui fournissent déjà quelques données sérieuses sur les Balkans ; en 1717, le botaniste Joseph Pitton de Tournefort (73) a publié un compte rendu relativement précis de son passage dans ces régions, et en 1765, un membre de l'Académie des Inscriptions, le diplomate De Peyssonel (74), édite une "Dissertation sur l'origine de la langue sclavonne prétendue illyrique" (75). Tout cela reste néanmoins très superficiel et plus ou moins fiable, et le gouvernement français n'est probablement pas mécontent de bénéficier des avis d'un connaisseur aussi instruit que Boskoviæ. Cette situation sied tout à fait au Croate qui en profite, au passage, pour promouvoir ou défendre les intérêts de sa petite patrie ragusaine...

Aussi affable que curieux, Boskoviæ est reçu dans les milieux les plus divers et parfois même au sein des sociétés les plus antagonistes. Du côté des progressistes, il se lie d'une sincère amitié avec le physiocrate Victor Riquetti de Mirabeau (1715-1789) et avec le peintre Claude-Henri Watelet (1718- 1786) dont il fréquente assidûment le "Moulin Joli". Familier des encyclopédistes, surtout Diderot et d'Alembert (76), il n'en cache pas pour autant sa franche opposition à leur idéologie. En fait, c'est vers les conservateurs que vont ses sympathies politiques et religieuses ; proche de la reine Marie et du Dauphin Louis (1729- 1765), il ne fait pas mystère de ses accointances avec le parti dévot et plus particulièrement avec le Cardinal De Luynes et l'archevêque Malvin de Montazet, deux protecteurs des jésuites.

70. Mirko Deanoviæ, Anciens contacts..., p. 144.

71. La première version française de la Theoria date de 1760 et elle est due à Leroy, un proche de Diderot.

72. Planète no 17, Paris 1963, p.43 ("L'échelon au-dessus et au- delà du génie")

73. Joseph Pitton de Toumefort (1656-1708) fut professeur de botanique au Jardin des Plantes et professeur de médecine au Collège de France. Grand voyageur (il s'est rendu jusqu'en Arménie), il a relaté son passage à Raguse dans sa Relation d'un voyage au Levant (Paris, 1717).

74. Numismate distingué, De Peyssonel (1727-1790) a été consul général à Smyrne, en Crimée et à Canée (Chypre).

75. Cette dissertation servait d'introduction à ses Ohservations historiques et géographiques sur les peuples barbares qui ont hahité Ies hords du Danuhe et du Pont-Euxin (Paris, 1765).

76. D'Alembert ne l'appelait que "le jésuite" et s'entêtait à le considérer comme un Italien, ce qui contrariait Boskovic...

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