Christophe Dolbeau: France-Croatie
FRANCE - CROATIE 13/23

C. Dolbeau
Ce qu'il y a de meilleur est que son application à l'étude ne diminue en rien son attention aux devoirs de son état, et qu'il marche toujours d'un pas égal dans les sciences et dans les routes que notre profession lui a prescrites" (57). Aidé par Jean Boivin et Nicolas Clément, les conservateurs de la Bibliothèque Royale, il publie différents travaux consacrés à Pétrarque, Théodore d'Antioche, Saint Athanase ou Saint Dalmace. En 1705, il publie une étude remarquée sur Saint Nicéphore ("Conspectus operum sancti Nicephori"), prélude à son oeuvre principale, l'"Imperium Orientale" dont les deux volumes paraissent en 1711-1712. Protégé par la duchesse douairière d'Orléans (Charlotte Elisabeth de Bavière) et par son fils dont il est confesseur (58), de plus en plus indépendant de son ordre et de ses premiers tuteurs, il poursuit ses recherches et publie encore deux ouvrages importants, "Bibliotheca nummaria sive auctorum qui de re nummaria scripserunt" et surtout "Numismata Imperatorum Romanorum a Trajano Decio ad Paleologos Augustos" (1718). A partir de là, et sans que l'on sache pourquoi, Banduri ne publie plus rien ; désormais célèbre, il se contente apparemment de mener une vie mondaine et assez dissolue qui achève de le brouiller avec ses premiers amis et avec sa hiérarchie. "Les premières années, se plaint le père Charles d'Issard (ler mai 1719), il s'est conduit d'une manière assez régulière, mais depuis, sa conduite a été bien différente, de sorte que comme il porte notre habit, nos supérieurs ont eu la mortification de recevoir divers reproches de ce qu'ils souffroient qu'un de nos religieux courut par tout à la Cour et à la ville ; et que nous n'y mettions point ordre. Depuis un an ou plus, nous ne le voions jamais dans notre église. Il n'assiste à aucun exercice régulier. Nous ne scavons où il dit la messe, ni où il se confesse. II est perpétuellement avec les séculiers, mangeant de la viande avec eux contre notre sainte règle, et les statuts de notre congrégation. En un mot, il n'a de religieux que l'habit" (59). Pour scandaleuses qu'elles soient, ces frasques n'empêchent nullement Dom Banduri d'être nommé antiquaire et bibliothécaire du jeune duc Louis d'Orléans (60), ni d'être doté jusqu'à sa mort d'une coquette pension et logé au Palais-Royal.

Il va sans dire que ces grands ambassadeurs de la culture croate, aussi éminents soient-ils, ne constituent qu'un seul aspect d'une coopération intellectuelle qui se confirme et se diversifie tout au long du XVIIe siècle. En effet, si c'est bien à Paris que Gjuro Dubrovcanin vient éditer ses "Epistolae Mathematicae" (1680), c'est à Wiener- Neustadt et dans une cellule autrichienne, que Fran Krsto Frankopan entreprend de traduire le "George Dandin" de Molière, entre le 18 avril 1670 et le 30 avril 1671, date de son exécution. (L'original est de 1669). Travaille-t'il à partir du texte français ou de sa traduction allemande, nul ne saurait le dire avec certitude. II n'est pas impossible, en tout cas, qu'il ait connu la langue française que certains lettrés croates commencent à pratiquer (61). D'autres traductions indiquent un regain de l'intérêt croate pour la littérature française ; elles nous sont connues grâce aux catalogues des bibliothèques. A Raguse par exemple (où les archives qualifient plusieurs résidents étrangers de "Gallus, habitator Ragusii"), le catalogue des franciscains fait état d'un manuscrit intitulé "Provodje od redovnica, izvadjen iz djela S. Franceska od Sales, izgovoren iz jezika latinskoga po D. Mihu Pucicu, kanoniku", c'est à dire "La conduite des religieuses, tirée de l'oeuvre de saint François de Sales et traduite du latin par Miho Puciæ, chanoine". Selon Pavle Popoviæ, il s'agirait d'une traduction de l'"Introduction à la vie dévote" ou du "Coustumier et directoire pour les soeurs religieuses de la visitation de Sainte Marie". Une version complète, mais plus tardive (1724), de l'"Introduction à la vie dévote" ("Uvodjenje u zivot bogoljubni"), figure aussi au même catalogue ; elle est due au prêtre Giancarlo de Angeli (1685-1750), célèbre traducteur de Métastase.

"Francezarija"

Cette prédilection pour la culture française ne va faire que s'affirmer au cours du XVIIIe siècle, et les catalogues des bibliothèques nous fournissent là- encore de précieux renseignements.

57. Documents inédits sur- la vie de Banduri à Paris, Jean Dayre, in Annales de l'Institut Français de Zagreb (AIFZ), 1937, p. 154.

58. Banduri est également proche du parti anti-janséniste que le dirigent le cardinal de Rohan et Henri de Thiard, cardinal de Bissy.

59. Documents inédits sur la vie de Banduri à Pari.s, J. Dayre, p. 156.

60. Exemple de piété, Louis d'Orléans (1703-1752) acheva sa vie à l'abbaye de sainte Geneviève. Hébraïsant, il était aussi botaniste et numismate.

61. C'est aussi à cette époque que certains érudits français commencent à étudier la langue croate. On sait par exemple que l'abbé de Cézi et le professeur Jean Doujat (1607-1688) parlaient croate.

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