Christophe Dolbeau: France-Croatie
FRANCE - CROATIE 16/23

C. Dolbeau
Il n'y a donc rien de suprenant à ce que ce soit au roi Louis XVI qu'il dédie, en 1779, son poème "Les Eclipses" dont le traducteur n'est autre que le très réactionnaire Augustin Barruel (77).

Rudjer Bosković ne se cantonne pas uniquement aux domaines des sciences, de la diplomatie et de la politique, mais il témoigne d'un vif intérêt pour les Lettres. Alors qu'il habitait Rome, en 1744, il avait été élu membre de l'Académie de l'Arcadie où il siégeait sous le pseudonyme de Numerius Anigreus. Il passait alors pour un grand causeur doublé d'un poète brillant. Lors de ses séjours à Paris, il renoue tout naturellement avec ses habitudes mondaines et littéraires grâce à une Arcadienne de ses amies, Madame Marie- Anne Fiquet du Boccage (78), dont il fréquente assez régulièrement le salon. Il y côtoie Marivaux, Gibbon et Benjamin Franklin, les poètes Gentil- Bernard et Vittorio Alfieri ou les artistes Bouchardon, Van Loo et Vernet qui sont tous des habitués. On le verra également beaucoup chez Madame de Marchais qui tient, à Versailles, un autre cénacle à la mode.

Efficace et discret intermédiaire entre la France et Raguse, Bosković est certainement l'homme qui a le plus contribué, avant 1789, à une meilleure compréhension mutuelle entre les deux Etats. Doué de dons exceptionnels, il n'est pas outré d'ajouter qu'il a également incarné durant un demi-siècle ce que l'intelligence croate pouvait offrir de meilleur à l'Europe.

Marko Bruerovic

Si la période révolutionnaire (1789-1799) interrompt pour quelques années les échanges culturels franco-croates, ceux- ci connaissent une vigoureuse reprise sous Napoléon Ier. Pendant sept ans, de 1806 à 1813, une grande partie des terres croates est occupée par les armées impériales et administrée à la française. Cet épisode suscite (ou ressuscite) la curiosité d'un certain nombre d'intellectuels français pour une région et un peuple qu'ils connaissent mal, il stimule aussi l'imagination des écrivains, tandis que du côté croate, il déclenche un processus d'affirmation qui aboutit au "mouvement illyrien" et au réveil de la conscience nationale. Il s'agit donc, de part et d'autre, d'une période extrêmement intéressante.

Le premier personnage "littéraire" auquel on pense lorsqu'on évoque l'Illyrie napoléonienne est sans nul doute l'insolite poète ragusain Marko Bruerović qui appartient à la fois à l'histoire de France et au Parnasse croate. Probablement originaire de Tours où il vient au monde vers 1765-70, Marc Bruère- Desrivaux - puisque tel est son véritable patronyme - n'est autre que le fils de René Bruère-Desrivaux ( 17361817), consul de France à Raguse (79). Arrivé tout jeune dans cette ville, c'est là qu'il fait ses études, auprès d'un maître autochtone (Djuro Feric) et en compagnie des enfants des notables locaux. Comme eux, il apprend l'italien, le croate et le latin, trois langues qui lui deviennent presque plus familières que le français.

Son premier petit livre, une sorte de compliment à l'occasion d'un mariage ("Per le nozze del N. S. Nicolo Sorgo colla nobil Dama Comtessa Elena Sorgo"), date de 1789 et il est justement rédigé en italien. II montre que Marko Bruerović s'est parfaitement intégré à la vie ragusaine. Assesseur ofiicieux de son père, il participe activement aux évènements de la cité et s'est totalement imprégné de l'esprit qui règne dans la bonne société locale.

77. Jésuite, le père Augustin Barruel (1741-1820) fut exilé à deux reprises : une première fois à la dissolution de la Compagnie de Jésus (1773-74) et une deuxième fois en raison de la Révolution (1792-1802). Théoricien de la Contre Révolution, il a écrit Mémoirer pour servir à l'histoire du Jacohinisme, Du Pape et de ses droits religieur à I'occasion du Concordat et Les Helviennes ou lettres provinciales philosophiques.

78. Membre des Arcadiens sous le pseudonyme de Doriclea, Marie-Anne Fiquet du Boccage (1710-1802) a écrit "La Mort d'Abel", "Les Amazones" et "La Colombiade" ; plusieurs de ses ouvrages ont été traduits en anglais, en espagnol, en allemand et en italien. Cf. Une jèmme de lettres au XVllle siècle : Anne Marie du Boccage, Grace Gill-Mark, Edition Champion, Paris 1927.

79. Successeur de Le Maire et de Prévost au consulat de Raguse, René Bruère Desrivaux eut des relations orageuses avec le Sénat ("d'odieux aristocrates orgueilleux" écrit-il dans une lettre au ministre Delacroix). Les prégats voyaient son activité d'un mauvais oeil, mais d'un autre côté, le caractère cassant du consul ne devait guère l'inciter au compromis ("Ce pauvre Bruère qui alliait la suprême intolérance à la suprême avarice" dit de lui le comte Serge Fleury, A la suite de Marmont sur les côtes dalmates (1805-1813), in Revue Maritime, janvier 1930, p. 49).

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