Mais Dieu voulut que l'archevêque Stepinac vive intensément une autre dimension de l'existence chrétienne: celle de la souffrance. C'est ainsi que la fin de sa vie, en particulier les dernières années, furent marquées par des souffrances physiques et morales. Je ne parlerai pas des chagrins causés par les fidèles eux-mêmes. Etant son secrétaire, j'en ai su quelque chose. Mais parmi les souffrances morales les plus dures figure certainement le procès mensonger monté contre lui. C'était au moment où dans chaque pays socialiste, à peu près dans les mêmes années, on faisait un procès à l'un au moins des représentants les plus éminents de l'Eglise. On eût dit qu'il y avait un commun accord entre ces gôuvernements: le cardinal Slipyj en Ukraine, emprisonné pendant dix- huit ans, dont une bonne partie en Sibérie, l'archevêque Wyszynski en Pologne, l'archevêque Beran en Tchécoslovaquie, l'archevêque et primat de Hongrie Mindszenty, et puis Stepinac.
C'est ainsi que l'archevêque Stepinac, qui avait tant aimé son peuple et s'était donné tout entier pour lui, dut supporter cette infamie d'être condamné comme ennemi du peuple et de l'Etat. Lui qui avait fait tant de bien à son peuple, il était proclamé ennemi du peuple. Vous pouvez imaginer quelle fut sa souffrance, mais il accepta cette humiliation et porta avec fierté cette croix. Naturellement, le procès avait d'autres causes. Je m'en souviens encore, j'assistais au procès le jour où parlait le procureur d'Etat. Il dit une chose intéressante, qui montre bien quelles étaient les vraies raisons du procès. Il dit: "Nous devons placer Stepinac dans le cadre plus large de l'expansion du Vatican dans les Balkans." C'était cela! C'était la raison! L'expansion du Vatican, l'expansion de l'Eglise catholique! Ils savaient ce qu'il représentait pour l'Eglise catholique dans les Balkans, et c'est pour cela qu'il a été condamné. C'est le procureur lui-même qui l'a avoué.
Outre ces souffrances morales, vinrent aussi les souffrances physiques. Il avait une maladie rare, qui s'appelle en termes de médecine "polycitemia rubra vera" et qui consiste en une multiplication excessive des globules rouges. A la fin, d'autres maladies sont venues s'ajouter, auxquelles il a fini par succomber.
Chers frères et soeurs! Nous évoquons chaque année ici la mémoire du cardinal Stepinac. C'est notre devoir de garder un vivant souvenir de lui. Mais ce serait trop peu, si ce n'était qu'un souvenir. Le souvenir de Stepinac doit nous ébranler! Il doit ébranler notre conscience, pour que nous prenions au sérieux notre christianisme! Stepinac est pour nous une sorte de défi! Quand nous pensons à lui, cela doit nous apprendre quelque chose, et nous décider à quelque chose. En premier lieu au sujet de la foi. Il fut l'homme à la foi de granit! Quand il s'agissait de la foi, il ne faisait ni concessions ni marchandage. Et c'est pourquoi il nous incite, et nous demande d'être fermes dans notre foi, de ne pas nous laisser ébranler par les différentes déformations des vérités de foi à notre époque. Nous devons apprendre de lui à être sincèrement attachés au pape, à ses directives et à son enseignement. Stepinac a été inébranlable en cela! Et si quelqu'un ne voit pas ce que signifie pour nous, Croates, la papauté, ce que signifie pour nous le pape, aujour d'hui comme par le passé, que celui- là ne se dise pas ami de Stepinac...
Frères et soeurs, j'ai voulu aujourd'hui évoquer en quelques traits la grande figure de notre cardinal Stepinac. Qu'il soit toujours vivant dans nos âmes, et qu'il nous incite à la fidélité envers Dieu, envers Notre-Dame, et envers l'Eglise pendant toute notre vie. Amen."
ALLOCUTION DE MGR F. KUHARIC, ARCHEVEQUE DE ZAGREB à l'occasion du vingtième anniversaire de la mort du Cardinal Stepinae, 10 février 1980
"... C'est dans l'église de Saint Pierre Canisius à Rome, qu'il est ordonné prêtre en la fête du ChristRoi, le 26 octobre 1930. A midi, lors du repas, chaque jeune prêtre trouve près de son assiette une fleur rouge. Le nouvel ordonné Alojzije, alors dans sa trente-troisième année, dit d'un air pensif en considérant la fleur: "Fleur rouge du martyr!" (A. Benigar: A. Stepinac, p. 93). Cette année est le jubilé d'or de son sacerdoce. En même temps que lui, était ordonné prêtre le futur cardinal Seper...
En la fête de Saint Jean-Baptiste, le 24 juin 1934, il reçoit dans la cathédrale de Zagreb, la consécration épiscopale et le titre d'archevêque-coadjuteur avec droit de succession.
Il est significatif que la consécration épiscopale d'Alojzije Stepinac soit en relation avec la fête de Jean- Baptiste. Jean-Baptiste est celui dont Jésus luimême disait: "Qu'êtes- vous allés voir dans le désert? Un roseau agité par le vent?..." (Luc, 7, 24). Nous savons par l'Evangile que Jean-Baptiste n'était certainement pas un roseau agité par le vent. Alojzije Stepinac non plus. Ferme de caractère, homme de foi inébranlable, tout à Dieu, il se tenait droit devant les grands de ce monde; profondément humble devant Dieu il était entièrement au service de l'homme. Tel il entra dans la tourmente de son temps.
La haine fauchait des vies. Les hommes tombaient le jour, disparaissaient la nuit. Beaucoup furent, à cause de leurs convictions politiques, emprisonnés, torturés, tués, sans que personne n'ait le droit de s'informer à leur sujet. La population fut exposée à la tuerie, les prisonniers désarmés, au massacre. Les règlements de comptes racistes, nationalistes, idéologiques foulèrent aux pieds les hommes, et la vie humaine devint sans valeur. Mettre sur un homme une certaine étiquette revenait à le condamner à mort. L'Histoire prendra beaucoup de temps pour évaluer le rôle de tous les participants de ce drame sanglant.