Le 10 juin, la fête de la sainte Trinité fut marquée par une célébration exceptionnelle. Dans toutes les cathédrales et églises paroissiales, et aussi couvents de religieux et religieuses, ce fut la journée de reconnaissance pour la foi dans l'union avec l'Eglise de Rome.
Et, le dimanche 2 septembre, ces festivités trouvaient leur grandiose couronnement, dans la ville de Nin, antique siège de l'évêque croate Théodose, et du prince croate Branimir.
Dès la veille, des pèlerins innombrables avaient littéralement envahi la ville historique de Zadar, parcourant en cortèges pittoresques les rues de la vieille cité, d'église en église, où avaient lieu des célébrations animées par un nombreux clergé. Le samedi soir, dans la belle cathédrale romane de sainte Stosija (Anastasie), les représentants des épiscopats allemand, autrichien, français, honorois, italien, polonais présentèrent leurs voeux à l'Eglise de Croatie, en présence du cardinal Franjo Seper, ancien archevêque de Zagreb, et primat de Croatie, actuel préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi à Rome, et du cardinal Macharski, archevêque de Cracovie, où il vient de succéder au cardinal Karol Wojtyla, devenu Jean-Paul II.
Tout un peuple était là rassemblé, autour de ses évêques et de ses prêtres, avec de nombreux religieux et religieuses, et qui vibrait spontanément aux paroles prononcées par des applaudissements répétés. Lorsque se présentèrent le cardinal Seper, qui était officiellement le Légat du Pape, puis l'archevêque de Cracovie, ce furent de puissantes ovations, à travers lesquelles se manifestaient de façon touchante les sentiments de fidélité renouvelée de tout un peuple au successeur de Pierre.
Ce fut d'ailleurs le thème de la soirée qui se poursuivit tard dans la nuit. Nous eûmes, en première, la création d'un Oratorio intitulé La foi de mon peuple, créé pour cette circonstance historique. Les dizaines de jeunes hommes et de femmes qui l'interprétaient, comme la centaine de chanteurs qui constituaient le choeur, visages ruisselants de sueur, et regards brillants de ferveur, affirmaient avec intrépidité leur foi dans l'avenir, en célébrant le passé.
Des moments d'intense émotion marquèrent le chant du Sanctus antique créé à Zadar au xIe siècle, comme des chants émouvants à la Vierge, et le Tu es Petrus fut scandé avec une force impressionnante devant les évêques et les fidèles, assis et debout, remplissant le moindre recoin. Tous se dressèrent à la fin pour chanter l'hymne national, les représentants officiels de la République socialiste, debout eux aussi, au premier rang.
Croatia semper fidelis
Le dimanche matin, le car qui emmenait la vingtaine d'évêques que nous étions dut se frayer son chemin à travers tout un peuple, véhiculé par plus de 800 autocars et un fleuve de voitures privées qui doublaient difficilement des cohortes de pèlerins à pied. Les motards de la police yougoslave ouvraient la voie, sans désemparer! Chantant des cantiques depuis le matin sur une immense esplanade improvisée sur la colline dominant la mer, sous un soleil de plomb, la foule estimée à plus de 200 000 personnes applaudit sans se lasser le cortège des évêques précédé par plusieurs centaines de prêtres.
Ovationné à nouveau, le cardinal Seper termina sa longue homélie en faisant acclamer par trois Amen particulièrement vigoureux: Polonia semper f idelis, Croatia semper fidelis, toujours fidèle à Dieu, à l'Eglise, à la Vierge Marie et au Pape.
Ce fut ensuite l'interminable défilé des offrandes portées par des fidèles de toute la Croatie au cardinal légat, des énormes grappes de raisin aux gâteaux du pays, des produits de tissage aux agneaux vivants, en passant par les multiples produits de l'artisanat, présentés par les paysans et bergers, en costume local.
Pays composite et un seul parti...
Pendant plus de cinq heures, ce fut une manifestation de foi et de joie de tout un peuple rassemblé dans la prière et la ferveur. La Yougoslavie, on le sait, est un pays composite: 5 pays, 4 langues, 3 religions, 2 écritures... et un parti, comme le disent ses habitants avec humour.
Sur 22 millions d'habitants, il y a plus de 9 millons d'orthodoxes, près de 8 millions de catholiques et 3 de musulmans, d'une très grande vitalité. Le dernier recensement... de 1953, affirmait 84 % de croyants et seulement 13 % d'incroyants: on s'est abstenu d'en faire un nouveau! Les catholiques sont surtout croates, mais quelques-uns aussi sont dispersés à travers le pays. Les évêques sont au nombre de 33, pour 23 diocèses, avec 2 000 prêtres diocésains, 1 200 religieux et 10 000 religieuses.
Ces derniers temps, les entrées ont quelque peu fléchi dans les séminaires et les noviciats, mais, pour un Français, la jeunesse des prêtres et religieuses rencontrés, comme leur vitalité, était impressionnante. Dans la voiture de Mgr Franjo Kuharic, président de la Conférence épiscopale et archevêque de Zagreb, qui nous ramenait de Zadar, le cardinal Macharski, notre compagnon de route, nous confiait que cette année, son séminaire de Cracovie, déjà débordant, allait accueillir 32 nouveaux séminaristes en plus...
Nous sommes allés prier ensemble sur la tombe du cardinal Stepinac, toujours fleurie de fleurs sans cesse renouvelées par la piété du peuple chrétien dans sa cathédrale Saint-Etienne. Son actuel successeur me confiait quelques-uns des combats qui ont été les siens à la tête de cette Eglise qui a souffert tant de violences, comme sa soeur polonaise. Une fois encore, le sang des martyrs est semence de chrétiens.