Dans ses contacts quotidiens avec les gens, il ne donnait jamais d'ordres, mais son comportement était plein de tact et il s'excusait sans cesse de devoir déranger.

Le 8 décembre 1951, les prêtres de Jaska lui avaient rendu visite pour lui demander s'il comptait célébrer la Messe de Minuit à IlToël. Humblement, il avait répondu: "Je ne sais pas, je verrai, selon la décision de Monsieur le curé."

Lorsqu'il entendait dire qu'à l'étranger, on le vénérait, soit dans la presse, soit par des messages à la radio, il regrettait cette publicité autour de sa personne. Apprenant un jour qu'une revue étrangère avait publié une déclaration du Pape: "Le Cardinal de Croatie est le pIus grand Prélat de l'Eglise catholique" il baissa la tête en murmurant: "Dieu seul est grand!"

A l'Archevêché, après son élévation au cardinalat, on avait fait imprimer ses cartes de visite ainsi rédigées: "Dr. Alojzije Stepinac, archevêque de Zagreb, métropolite de Croatie, etc.". Quand on lui envoya ces cartes, il barra: "etc." et le remplaça par: "et zéro ". D'ailleurs il ne voulait pas s'en servir.

Fin 1959, on lui envoya de Chicago, l'almanach fait en souvenir de ses 25 ans d'épiscopat, avec sa photo imprimée. Il refusa d'y jeter un seul coup d'oeil. Quand le curé voulait lui en lire quelques lignes, il l'interrompait en disant:

"Que c'est pénible pour moi qu'on essaie de me vénérer tellement sur la terre; j'ai peur de ce qui va arriver après là- haut."

En février 1956, la radio de Madrid parlait de lui comme d'un saint. - "Pourquoi disent-ils tout cela, dit-il au curé. Un saint? Gare à celui qu'on canonise déjà pendant sa vie terrestre. Pourquoi répètent-ils toujours cela? Je vais perdre mes mérites pour le Ciel." Puis il ferma le poste.

Lors de la mort de sa soeur Barbara et de son beaufrère avec qui il aimait tant se promener, le Cardinal s'était humblement agenouillé auprès des dépouilles mortelles, priant à côté des fidèles et comme tout le monde. Par sa simplicité et l'égalité dans ses rapports humains, il ne se distinguait nullement des autres.

Il est intéressant de consulter sa correspondance, les petites notes qu'il envoyait lors de sa détention à Zagreb, ou à Lepoglava. On en trouve une où l'Archevêque répond à un prêtre qui voulait écrire la biographie de l'Archevêque Antun Bauer. Il lui demande surtout de ne pas écrire la sienne, Stepinac, car il n'a aucune ambitïôn sur cette terre à part celle de tenir jusqu'au bout et de mourir dans la grâce de Dieu. Recevant un jour le livre de Mgr Jesih: "Rose rouge sur l'autel ", qui était censé être sa biographie et qu'il trouvait trop fantaisiste, il donna à son secrétaire son autobiographie résumée en sept chapitres, autobiographie très courte, dit-il, mais véridique:

1. "Ecce in iniquitatibus conceptus sum, et in peccatis concepit me mater mea." (Voilà, je suis né dans le péché, et ma mère déjà m'a conçu dans le péché.) (Ps 50.)

2. "Tantillus puer et tantus peccator." (Encore si petit, mais déjà un tel pécheur.) (Les mots de Saint Augustin sur lui-même.)

3. "Gratia Dei sum id, quod sum." (1 Co 15, 10.) (C'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis.)

4. "Quis sum ego canis mortuus quoniam respexisti me." (2 Sam 9, 8.) (Qui est ton serviteur, pour que tu montres ta faveur au chien mort que je suis?)

5. "Dinumerare nos doce dies nostros, ut pe veniamus ad sapientiam cordis." (Ps 89, 12.) (Apprends-nous à compter nos jours, pour que nous puissions acquérir la sagesse du coeur.)

6. "Misericordiae Domini, quia non sumus consumpti." (Lam 3, 22.) (C'est grâce au Seigneur que nous ne sommes pas anéantis.)

7. "In Te, Domine, speravi, non confundar in aeternum." (Ps 31, 2.) (Je me suis confié à toi, Seigneur, què je ne sois pas confondu pour toujours.)

"Comme vous voyez, mon autobiographie est courte, mais véridique, c'est ce qui compte."

Ses jubilés

A peu d'intervalle, le Cardinal eut deux jubilés: 25 ans de prêtrise en 1955, et 25 ans d'épiscopat en 1959. Au lieu de faire une fête, tout se passa le plus simplement possible. Quand le curé en reparlait à Mgr Stepinac, celui-ci lui répondit:

" Laissez cela! N'en parlez pas. Le Coadjuteur, à Zagreb, va fêter cela; que tout soit centré sur lui. Mes autres collègues vont se réunir à Rome; je vais leur écrire et leur demander de prier pour moi. Je n'ai besoin de rien d'autre."

Pour ses 25 ans de prêtrise, le Cardinal était malade. Il a demandé simplement au curé de n'en parler à personne et de lui préparer la chasuble rouge pour le lendemain. Le lendemain, le curé se rendit à son chevet pour prendre des nouvelles de sa santé.

" Cela ne va pas, dit-il, cela empire. Si je continue ainsi, demain je ne pourrai même pas me lever..."

Il se leva cependant et alla de bonne heure célébrer la Messe. Le curé avait fait décorer l'autel avec des fleurs et des bougies. Les enfants de choeur étaient là aussi sans savoir de quoi il s'agissait. Le curé ne l'avait dit qu'aux deux soeurs du Cardinal.

Toute cette journée, Mgr Stepinac resta assis sans bouger, les jambes allongées plus haut que le corps comme les médecins le lui avaient ordonné, pour favoriser la circulation. Sur ses genoux il tenait la petite croix que lui avait donnée le Directeur du Germanicum le jour de son ordination sacerdotale.