Le procureur a flétri hier, à juste titre, les Oustachis parce qu'ils avaient, à l'instar des Allemands et des Italiens, imposé la responsabilité pénale collective. Je me demande alors, si cela ne ressemble pas à la responsabilité collective quand le procureur incrimine ici une personne, l'Archevêque Stepinac, des actes commis par d'autres individus, c'est-à- dire par certains prêtres, écrivains et rédacteurs de la presse catholique.

Ne s'agit-il pas dans ce cas de la négation de la responsabilité individuelle - seule juste - seule prévue aussi par nos lois pénales? Dans notre Etat aujourd'hui le fils n'est pas responsable de l'activité de son père, ni aucun membre d'une famille en général, d'un de ses autres membres. Parfaitement juste! Mais du moment que cela vaut pour la famille qui représente une très étroite communauté, tenue par des liens puissants, où l'on pourrait précisément à cause de ces liens puissants, présumer d'une complicité, proche ou lointaine, des membres de la famille dans un acte répréhensible, comment peut-on présumer et même affirmer qu'il y a complicité, qu'il y a responsabilité de l'Archevêque Stepinac quant à l'activité d'une famille aussi vaste et nombreuse, dispersée par le temps et les lieux, d'une communauté liée par vocation et par une doctrine sublime comme c'est le cas des prêtres et de la presse catholique d'un et même de plusieurs diocèses? Peu nombreux sont les individus que l'on ne pourrait incriminer et condamner sur la base d'une pareille interprétation de la responsabilité collective.

Allocutions de Mgr Stepinac

Examinons maintenant une partie de l'activité positive de l'accusé Stepinac, afin de voir ce qu'il a déclaré, prêché, et ce qu'il a conseillé non seulement au clergé, mais aussi à tous les fidèles, à tous les Croates et Serbes, à tous ceux que sa parole et son influence pouvaient atteindre. Etant donné que l'action publique d'un Evêque se manifeste particulièrement dans ses sermons, je veux en citer quelques passages, car il me serait impossible de les citer tous.

Ecoutons-les.

A la fête du Christ-Roi, le 26 janvier 1941, l'Archevêque Stepinac a dit, entre autres, dans son sermon: "Si vous désirez être les vrais disciples du Christ-Roi, je voudrais attirer spécialement votre attention sur une chose: l'amour du prochain, de tout homme quel qu'il soit.

"Au cours de ces dernières décennies diverses théories et idéologies athées ont tellement réussi à empoisonner le monde que la haine est presque devenue le principal moteur de toute activité humaine. Il y a danger que même ceux qui s'enorgueillissent du nom de catholique, et j'ose dire même de la vocation religieuse, que ceux-là ne deviennent victimes de la passion et de la haine, que ceux-là n'oublient la loi qui est le plus beau fleuron de la chrétienté, la loi de l'amour..." Ne voit-on pas là une allusion claire à Pavelic et aux oustachis qui se prévalaient du nom de catholiques mais qui se comportaient en mauvais catholiques? Et aussi une allusion aux prêtres et moines qui avaient dévié et suivi les oustachis dans le crime? Peut-on voir dans ces paroles une incitation au crime, une suggestion, une directive concernant les écrits incriminés ici de la presse catholique? Ces paroles contiennent-elles une collaboration avec l'ennemi? Elles furent pourtant prononcées au sixième mois de l'occupation!

Au cours d'un sermon à l'occasion de la fête à Notre-Dame de Lourdes fin mai 1942, il a dit:

"Croyez-vous qu'il existe dans le monde un pareil mégalomane?" Tous les auditeurs avaient compris qu'il faisait allusion à Hitler et à ses satellites Pavelic inclus. Il déclare ensuite: "Il serait absurde de parler d'un nouvel ordre dans le monde, d'où qu'il vienne, si dans cet ordre on ne respectait pas la personnalité humaine, l'âme immortelle... qui possède ses droits inaliénables qu'aucune autorité humaine ne peut et ne doit limiter. Et il serait même absurde d'imaginer que l'Eglise catholique, dans la défense de la personnalité humaine et de la liberté de conscience, connaîtrait la peur devant n'importe quelle force..." Je voudrais trouver quelqu'un qui, pendant l'occupation, dans la mer des baïonnettes allemandes et oustachistes, ait, sans armes, lancé publiquement un pareil défi à Hitler, tout- puissant, à Mussolini, qui l'était moins, et à Pavelic qui l'était encore moins!

Voici quelques passages du sermon prononcé à la cathédrale de Zagreb lors de la fête des saints Pierre et Paul un mois après, le 29 juin 1942:

"Nous ne pouvons pas être catholiques à l'église, et en même temps dans la rue attaquer comme des païens les prescriptions du Représentant de Dieu, prescriptions édictées pour le salut commun et qui peut-être ne conviennent pas à nos dispositions naturelles. Nous ne pouvons pas aujourd'hui - parce que cela ne nous convient peut-être pas - glorifier le Saint-Père et demain dans les journaux, rayer au crayon rouge ses paroles et ses discours, prononcés dans un seul but: ramener les hommes à Dieu... "