La presse catholique
De même que de l'activité des prêtres, l'Archevêque, suivant l'acte d'accusation, serait responsable de l'activité de la presse. La majorité des journaux, dont l'accusation cite quelques passages en guise de preuves contre l'archevêque Stepinac, paraissaient sur le territoire d'autres diocèses, où ces journaux étaient les organes de certains ordres religieux.
Ainsi par exemple le journal "Andjeo Cuvar" (l'Ange Gardien) appartenait aux Franciscains; "Glasnik Sv. Ante" (La Voix de Saint Antoine) aux Conventuels, u Vjesnik Pocasne Straze Srca Isusova" (Le journal de la Garde d'Hommeur du Coeur de Jésus) aux Jésuites; "Katolicki Tjednik" (L'Hebdomadaire Catholique) paraît à Sarajevo, etc. On ne peut pas non plus rendre l'Archevêque Stepinac responsable des écrits des journaux publiés sur le territoire du diocèse de Zagreb, car il n'en était ni le propriétaire, ni l'éditeur, ni le directeur, et encore moins "le guide".
Cependant l'acte d'accusation base la responsabilité pénale de l'Archevêque pour les écrits de cette presse, précisément sur une prétendue "Haute Direction" que l'accusé Stepinac aurait exercée sur la presse catholique. Mais en quoi aurait consisté cette "Haute Direction "? Le procureur ne l'a pas démontré. Est-ce dans le fait que l'accusé est l'Archevêque du diocèse de Zagreb? Ce fait ne prouve nullement que l'Archevêque ait réellement dirigé la presse catholique. Si sous la qualification de "Haute Direction" on doit comprendre le fait de donner des directives, des instructions à la presse, on pourrait alors les trouver uniquement dans les circulaires, les lettres pastorales et les sermons de l'Archevêque que je lirai plus tard ; or dans tout cela, il n'y a même pas trace de quoi que ce soit susceptible d'inspirer les écrits incriminés ici. Le procureur n'a pas pu nous révéler des directives ayant une tendance contraire à celle des écrits et des sermons de l'Archevêque, pour la simple raison que ces directives n'existent pas. Sous le mot "Direction" on entend certainement une action positive; mais si sous ce mot on devait comprendre également une omission, concrètement parlant: l'omission qui aurait permis à l'Archevêque Stepinac de ne pas avoir spécialement et directement mis en garde le rédacteur ou l'écrivain contre cette façon d'écrire, de ne pas lui avoir défendu d'écrire ainsi, dans ce cas-là non plus l'Archevêque Stepinac ne serait pas coupable, car il était dans l'impossibilité matérielle de contrôler une si nombreuse presse catholique. En outre, le procureur a déclaré ici publiquement qu'il ne poursuivait pas l'Archevêque pour sa passivité, mais pour son activité.
Est-ce que l'omission d'un éventuel devoir de contrôle et d'interdiction signifie une activité? Ne s'agit- il pas ici d'une attitude passive? Comment, dans ces conditions, peut-on rendre l'Archevêque Stepinac responsable, par omission, par suite d'une attitude passive, en dépit du fait que dans ce cas il n'y a pas eu activité, et que, suivant mon exposé, une frontière nette - en ce qui concerne la presse catholique - ait été tracée entre la responsabilité de Stepinac et celle des collaborateurs et des directeurs de cette presse. Je voudrais néanmoins m'arrêter quelque peu sur cette question. Les passages, cités par le procureur, sont vraiment pénibles. Le malaise qu'ils suscitent ne se dissipe pas, mais néanmoins diminue, si l'on juge ces écrits en tenant compte de l'époque où l'on écrivait ainsi, et non en considération des circonstances actuelles. C'est le seul critère correct. C'est uniquement de cette façon qu'on peut se faire une idée exacte de la situation d'alors. L'époqu'e où l'on écrivait ainsi c'était l'époque de l'occupation, quand la presse vivait sous la contrainte, quand elle était dégradée et dirigée par le gouvernement d'occupation oustachiste, spécialement sur la base du "Statut de la Presse et de la Propagande". La censure préventive était particulièrement sévère. Non seulement elle supprimait, mais encore elle ajoutait certaines paroles, certaines phrases et des passages entiers pour changer souvent complètement le sens d'un article. La censure était plus puissante que l'auteur, car souvent elle se substituait à l'auteur d'un écrit; elle désignait le sujet et le contenu des articles et avait pris l'habitude de faire parvenir aux journaux des articles tout faits avec ordre de les reproduire intégralement. Le public était au courant de ces manigances et, pour cette raison, il n'avait aucune estime pour cette presse dirigée, qui, pour la même raison, ne pouvait avoir l'influence recherchée sur l'opinion publique par les dirigeants oustachistes. Comme partout ailleurs en pareilles circonstances, le public savait lire entre les lignes et distinguer ce qui avait été dicté de ce qu'on avait voulu dire, c'est-à-dire ce qui avait échappé à la censure.