A côté de la Convention de La Haye fixant les règles de Droit International, il existe également une règle de Droit Canon qui donne aux rapports entre l'Archevêque Stepinac et l'occupant, c'est-àdire le soi-disant gouvernement oustachiste en sa qualité d'agent de l'occupant, une signification tout à fait différente de celle qui lui est attribuée par l'acte d'accusation. C'est la Constitution "Sollicitudo Ecolesiarum" édictée par le pape Grégoire XVI le 5 juillet 1831...Te ne veux pas, à cause de son lourd style latin, la citer ici textuellement, je tiens uniquement à résumer ses idées et j'en remets, â toutes fins utiles, à la disposition du tribunal le texte intégral. Cette Constitution précise donc qu'aux époques révolutionnaires de lutte pour le pouvoir, on ne doit pas considérer la reconnaissance d'un état de fait et de son autorité par le représentant de l'Eglise, comme une reconnaissance de jure, ni déduire de cela que les droits des autres sont annules.
Dans ces conditions, si pour assurer le bonheur moral du peuple les représentants de l'Eglise prennent contact avec des personnes nanties d'autorité, on doit alors considérer cet acte commé ayant été accompli sans que, de ce fait, aucun des droits antérieurs des tiers n'aient été violés. L'accusé, le Dr. Stepinac, en sa qualité d'Archevêque et de plus haut représentant de l'Eglise - tout au moins dans son diocèse - était obligé de conformer à cette Constitution son attitude envers l'occupant.
Cependant, si ces prescriptions légales n'existaient pas, il est incontestable que nous aurions à tenir compte du fait de l'occupation qui contient en ellemême la force et la pression, et, dans notre cas, il ne s'agit pas de la force d'un occupant raisonnable, mais au contraire de la force d'un occupant terriblement inhumain et féroce, comme ce fut le cas des Allemands et de leurs serviteurs, les Oustachis.
Pareilles force et pression excluent le consentement volontaire de ceux sur lesquels elles s'exercent ou contre lesquels elles profèrent des menaces d'emploi de la force, ce qui exclut la manifestation du consentement volontaire, condition sans laquelle, d'après le Droit de tous les peuples civilisés, le délit devient impunissable. C'est en usant de cette force et de cette pression que les juges de l'Etat Indépendant Croate prononçaient leur verdict; c'est sous cette pression que les fonctionnaires de l'Administration géraient les services publics; c'est sous cette pression que les citoyens s'adressaient aux tribunaux et aux autorités administratives; c'est sous cette pression qu'on payait les impôts et que fonctionnaient les transports; c'est sous cette contrainte que les ouvriers travaillaient dans les mines, dans les entreprises industrielles et commerciales, etc.; je le répète une fois de plus: chacun se comportait - à l'exception de ceux qui avaient rejoint le maquis - suivant les exigences de sa profession et de sa position socialle - tout au moins dans le secteur d'activité qui était public. Du moment qu'on ne reproche pas leur conduite et leur comportement envers l'occupant aux millions de personnes ayant vécu sous l'occupation, il est illogique qu'on blâme l'Archevêque Stepinac, qui exerçait une fonction si délicate, d'avoir eu des rapports avec l'occupant, rapports qu'il avait réduits au minimum nécessaire en vue d'épargner, autant que possible, au peuple et à l'Eglise de plus grands maux encore. (Rires dans la salle.) Les mêmes qui ricanent en ce moment, s'ils ont vécu à cette époque à Zagreb, se taisaient alors.
Ils circulaient tranquillement dans les rues de Zagreb à côté des soldats de l'occupant et des oustachis et - pour me servir des termes employés par le camarade président du tribunal - ils tenaient leur langue dans leur poche. Mais quelqu'un ne se taisait pas, quelqu un protestait publiquement, et c'était l'Archevêque Stepinac! Qu'on me montre quelqu'un d'autre qui, dans le territoire occupé ait osé, en face des autorités occupantes et des oustachis, si ouvertement, si énergiquement, et si souvent, protester contre toutes les violences.
Ils feraient mieux de ne pas se vanter ni se moquer de celui qui, à pied d'oeuvre, s'est montré beaucoup plus courageux qu'eux!
Contester cette pression et cette force, les minimiser, ou ne pas en tenir compte, serait contester l'existence de l'occupation et surtout la présenter moins cruelle qu'elle ne le fut en réalité, cette occupation plus cruelle que toutes les autres.
Contester cette force et cette pression signifierait présenter l'occupant et les oustachis comme des maîtres corrects, qui recevaient de la population soumise, uniquement ce que celle-ci leur remettait volontairement. C'est à ces conclusions absurdes que conduit l'incrimination des actes qui sous l'occupation étaient inévitables, ou évitables au prix de la mort ou des plus grands sacrifices.