Il y a encore une chose qui nous peine: c'est l'esprit matérialiste et impie qui, publiquement ou secrètement, officiellement ou non, se répand dans notre pays. Nous, évêques catholiques, chargés d'enseigner la vérité et représentants de la foi, nous condamnons résolument cet esprit matérialiste, dont l'humanité ne peut attendre rien de bon. En même temps que cet esprit, nous condamnons aussi, cela s'entend, toutes ces idéologies et tous ces systèmes sociaux qui construisent leur édifice de vie sociale, non pas sur les fondements éternels de la révélation et du christianisme, mais sur les fondements trompeurs et fragiles d'une philosophie matérialiste et, par suite, impie.

Nous nous sommes efforcés de bien peser et examiner tout ce que nous avons rapporté dans cette lettre. Notre analyse montre clairement que l'Eglise catholique, dans la Yougoslavie fédérative et démocratique, se trouve dans une situation bien plus difficile que par le passé; l'état actuel de l'Eglise catholique en Yougoslavie, à notre avis, ne diffère que par le nom d'un état de persécution ouverte.

Nous avons voulu vous dire tout cela, chers fidèles, afin que vous soyez parfaitement renseignés sur la situation dans laquelle se trouve l'Eglise catholique en Yougoslavie.

Réveil religieux. Dévotion à la Sainte Vierge

Quoi qu'il arrive cependant, nous regardons avec confiance vers l'avenir. Nous sommes confirmés dans notre espoir par le réveil de la vie religieuse dans les masses profondes de notre peuple, dans toutes les régions de notre Etat. Nous sommes tout spécialement consolés et réjouis par le renouveau vraiment formidable de la dévotion à la Mère de Dieu, toujours si profondément chère au cceur des masses catholiques. Cette dévotion s'est manifestée surtout par l'énorme affluence à nos sanctuaires marials nationaux, qui ont plus de pèlerins qu'il n'y en eut jamais.

Développez encore dans vos âmes et dans vos familles cette dévotion profonde à la Mère de Dieu: récitez en commun le chapelet, imitez ses vertus dans votre vie et soyez assurés que la Mère de Dieu sera votre grande protectrice. Sa puissante intercession obtiendra pour notre peuple la grâce de rester, dans toutes les circonstances et toutes les difficultés, fidèle à la foi de ses ancêtres et aux commandements de Dieu. La Mère de Dieu ne nous abandonnera pas. Puisse-t-elle vous obtenir d'abondantes bénédictions dans tous vos besoins!

Nous demandons...

En vous faisant cet exposé, très chers fidèles, nous n'avons pas eu le dessein de susciter la lutte contre le gouvernement de ce pays: nous ne cherchons pas ces luttes et nous ne les avons jamais cherchées; nos pensées ont toujours été dirigées vers la paix et l'organisation de la paix civile et politique.

Cette paix nous est plus nécessaire aujourd'hui que jamais; mais nous sommes profondément convaincus que l'apaisement et la guérison des plaies de la guerre ne pourront être réalisés dans notre nation que par le respect des enseignements de la foi et de la morale chrétiennes. C'est pourquoi nous ne nous laisserons pas arrêter par les attaques injustes, ni par les fausses accusations que nous aidons la réaction et les ennemis du peuple. Nous sommes avec le peuple et nous sauvegardons 'ses biens les plus précieux, héritage indestructible de ses ancêtres: sa foi, son honnêteté et son désir de vivre libre chez lui, en union et affection avec tous les citoyens de cet Etat, sans faire de différence de religions ou d'ethnies.

C'est pourquoi nous demandons - et jamais à aucun prix nous ne cesserons de le faire - la liberté entière pour la presse catholique, la liberté entière pour les écoles catholiques, la liberté entière pour les associations catholiques, la liberté pour l'enseignement de la religion dans toutes les classes des écoles primaires et secondaires, la liberté pour Caritas, la liberté entière de la personne humaine et le respect de ses droits inaliénables, le respect intégral du mariage chrétien, le retour à l'Eglise des établissements et organismes qui lui ont été ravis. Ce n'est qu'à ces conditions que la situation pourra redevenir normale dans notre pays et qu'une paix intérieure durable sera rétablie.

Que le Tout-Puissant bénisse les efforts de ceux qui, animés de bonne volonté, travaillent dans ce but! Que Celui qui est la seule source de la paix, de cette paix que le monde ne peut donner, vous accorde à tous de voir revenir enfin des jours de paix juste et durable! Comme gage de ces souhaits, que la bénédiction de Dieu Père, Fils et Saint-Esprit, descende sur vous!
Zagreb, le 20 septembre 1945.

Mgr Alojzije Stepinac, archevêque de Zagreb et président de la Conférence épiscopale ; Mgr Nicolas Dobrecic, archevêque de Bar et primat de Serbie; Mgr Joseph Ujcic, archevêque de Belgrade et administrateur apostolique du Banat; Mgr Jérôme Mileta, évêque de Sibenik; Mgr Quirin-Clément Bonefacic, évêque de Split, Solin et Makarska; Mgr Joseph Srebrenic, évêque de Krk, depuis la "libération" absent de son diocèse pendant cinq mois; Mgr Michel Pusic, évêque de Hvar; Mgr Ivan Joseph Tomasic, évêque de Maribor; Mgr Victor Buric, évêque de Senj et Modrus; Mgr Smiljan Cekada, évêque de Skoplje; Mgr Pierre Culé, évêque de Mostar; Mgr Antoin Aksamovic, évêque administrateur apostolique de Djakovo; Mgr Lajos Budanovic, évêque, vicaire général de Subotica; Mgr Antoin Buljan, vicaire général de Sarajevo; M. Bojo Ivanic, vicaire général de Banja- Luka; M. Antoin Vovk, vicaire général de Ljubljana; M. Ivan Jeric, vicaire général de Preko-Murje; Mgr Ivan Djuro Visosevic, provicaire de Krizevci.