Christophe Dolbeau: France-Croatie
FRANCE - CROATIE 11/23

C. Dolbeau
A côté de la "Somme le Roi", un recueil éducatif du confesseur de Philippe Auguste, qui connait une certaine vogue, les lecteurs croates se passionnent alors pour le "Roman de Troie", le cycle de Guillaume au Court Nez, Beuve d'Antone (45) ou les héros du cycle carolingien. Ainsi, le personnage de Roland, devenu Orlando, connait-il un grand succès à Dubrovnik (46) . Fort appréciés en Dalmatie, ces textes et ces personnages ne sont sans doute pas pour rien dans la naissance de l'épopée nationale croate : "Il est fort possible, suggère M. Deanovic (47), que ce contact avec la littérature chevaleresque franco- italienne fut l'étincelle qui fit naître la poésie originale et nationale des Croates et des Serbes, dans laquelle ils trouvèrent l'expression adéquate de leur personnalité".

La Renaissance

Dans la deuxième moitié du XVe siècle, la personnalité la plus éminente est sans conteste celle de Francesco da Laurana (v. 1430 v.1502), architecte, graveur et sculpteur dalmate qui vient travailler en Provence, à la Cour du Bon Roi René. Installé en Avignon, il y épouse même la fille du peintre Jean de la Barse. La France conserve de lui plusieurs médailles (Charles IV d'Anjou, le Roi René, Jeanne de Laval), le gisant de Jean de Cossa (Tarascon) et le tombeau de Charles IV (Le Mans, 1475). C'est également Laurana qui décore, avec Tomaso Malvito, la chapelle Saint-Lazare de l'église de la Mayor (Marseille, 1477), et qui réalise le retable du "Portement de Croix" en l'église avignonnaise de Saint-Didier.

On ne connait guére d'autres noms pour cette époque car la majorité des lettrés et des artistes semblent plus attirés par l'Italie, où la Renaissance est à son apogée, que par la France. L'imprimerie, qui connaît un essor formidable, attire néanmoins quelques artisans croates dont Jacques Moderne (natif de Buzet, en Istrie) qui édite une cinquantaine de livrets musicaux à Lyon (48) et Dobriæ Dobriceviæ (Boninus de Boninis), un Ragusain, qui vient, lui-aussi, travailler dans cette même ville de Lyon où il édite un "Aesopus Moralisatus", des "Cantica" et la "Commedia del Divino".

Depuis longtemps, un certain nombre d'artisans et d'artistes français (comme le maître Jean de Vienne) se succèdent en Croatie, et au XVIe siècle, les chroniques de Dubrovnik signalent la présence dans la cité de Saint-Blaise du musicien français Pierre Lambert (en 1556) ainsi que du médecin Gaudence Muret (en 1584-87) dont la fille épouse (1603) le poète Oracije Mazibradiæ. En littérature, la mode de l'époque est à la poésie macaronique (Liompardi) et au pétrarquisme dont l'un des chantres les plus habiles, Dominko Ranjina (Ragnina), sera traduit en français par le fameux plagiaire Philippe Desportes (1450-1606). Plus important encore, l'oeuvre de Marko Maruliæ (1450-1524), le célèbre "De Institutione Bene Vivendi per Exempla Sanctorum" (six volumes et soixante-dix chapitres), est imprimée à Paris en 1585 et en 1586. L'ouvrage entre à la Bibliothèque Royale, peût- être à Port- Royal, et il rencontre un grand écho parmi les élites françaises (49).

C'est au XVIe siècle également que la France entre en possession d'un document fort curieux, l'Evangéliaire de Reims, dont une partie au moins pourrait avoir une origine croate. Offert en 1574 à la cathédrale de Reims par Louis de Guise, Cardinal de Lorraine, qui l'aurait reçu en cadeau du Patriarche de Constantinople, ce lectionnaire a été surnommé "Texte du Sacre" car plusieurs rois de France (Charles IX, Henri III, Louis XIII, Louis XIV) y ont posé la main pour prêter serment.

45 Beuve d'Antone est l'une des chansons de geste les moins connues du public français ; elle connaîtra pourtant un très large succès puisqu'il en existe des adaptations anglaise ("Sir Bevis"), islandaise ("Bevers Saga"), russe ("Bova Korolevitch et la princesse Drouchneva") et même hébreue (1501).

46 C'est ainsi qu'une légende locale rattache au personnage de Roland la fameuse colonne Orlando qui a été érigée à Dubrovnik. Cf. Dubrovnik, Slobodan Prosperov Novak, Most, Zagreb 1991, pp. 40-44 ; Anciens contacts entre la France er Raguse, Mirko Deanoviæ, Institut Français de Zagreb 1950, pp. 117- 119.

47 Anciens contacts entre la France et Raguse, p. 120.

48 Cf. lmprimés musicaux européens anciens et rares dans les archives croates, Stanislav Tuksar, in Les Croates et la civilisation du livre, Presses de l'Université de Paris-Sorbonne 1986, pp. 67-74.

49 Cf. Fortune et infortunes d'un livre de Marko Maruliæ : le De Institutione Bene Vivendi per Exempla Sanctorum (Venise, 1507), Leo Kosuta, in Les Croates et la civilisation du livre, pp. 55-56.

Les oeuvres de Mathias Flacius Illyricus (Matija Vlacic) sont également diffusées en France : son Catalogus testium veritatis est imprimé à Strasbourg en 1526, et le pamphlet Contre la principauté de l'évêque de Rome à Lyon en 1564.

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