FRANCE - CROATIE | 5/23 |
Le commandant-en-chef de l'opération est le général Auguste Frédéric Louis Viesse de Marmont (1774-1852) dont l'offensive est extrêmement dure : "Je donnai l'ordre, écrit-il, de brûler plusieurs villages et tous les faubourgs de Castelnuovo (Herceg Novi) : c'était punir la rébellion dans son foyer même". A son arrivée, Marmont méprise souverainement les paysans locaux, "à peine des êtres humains", et le comte de Molitor n'est pas plus tendre. Ils suivent en cela le mépris qu'affiche l'empereur lui même, "... les Croates sont voleurs ; il ne faut donc pas s'étonner de toutes les voleries qu'ils peuvent avoir faites à nos troupes". (Lettre à Eugène, le 7 août 1806). Il est vrai que les soldats français ont découvert des indigènes particulièrement farouches ; l'aide-de- camp de Marmont, Charles Nicolas Fabvier (19), en donne le bref portrait suivant : "Ils ne font jamais un pas sans un fusil, deux pistolets, un sabre, un poignard et surtout un stylet dont ils se servent très adroitement" (20).
En 1810, les nouvelles conquêtes françaises (Carniole, Carinthie, Istrie, Croatie civile, Dalmatie, Raguse et une province militaire) sont réunies en un seul ensemble qui prend le nom de Provinces Illyriennes. "La nouvelle Illyrie, écrit l'abbé Pisani (21), s'étendait du nord au sud-est sur une étendue de 250 lieues ; ses frontières allaient du Tyrol au Pachalik de Scutari, et il s'en fallait de beaucoup que ses habitants fussent tous de même race : les Slaves, qui formaient l'immense majorité, appartenaient aux trois rameaux slovène, croate et dalmate ; de plus, dans le nord, plusieurs cantons pris au Tyrol et à la Carinthie étaient allemands ; enfin, sur tout le littoral, de Trieste à Raguse, où la civilisation italienne avait laissé de fortes empreintes, la langue italienne était sinon celle du plus grand nombre, au moins celle de tout homme à qui son instruction pouvait donner quelque influence" (22). Ces provinces sont administrées "à la française" (décret du 15 avril 1811), ce qui n'est pas toujours du goût des autochtones : fiscalité agressive, conscription (et donc insoumission et désertions), abolition des fideicommis et de la loi Grimani, application du Code Civil et du Concordat (23). Selon l'historien Chélard, Marmont instaure aussi un sévère contrôle policier, avec la création de cartes de domicile et d'identité et l'implantation de commissariats fournissant des rapports de situation tous les trois jours ; un serment de fidélité est exigé des notables et la censure est très stricte (24).
18. Cette indépendance prendra fin
le
30 janvier 1808.
19. Le Baron Charles-Nicolas Fabvier
(1782-1855) fut l'aide-de-camp du
général
Foucher, puis celui de Marmont, avant
d'être fait colonel au lendemain de
la
bataille de Dresde. Engagé
volontaire aux
côtés des Grecs lors de la
guerre
d'indépendance, il défendit
l'Acropole
contre les Turcs, un fait d'armes que les
Athéniens
célébrèrent en lui
érigeant une
statue.
20. Cf. E. Haumant, Les Français
à Raguse,
in Revue de Paris, mars-avril 1912.
21. La Dalmatie de 1797 à 1815,
Alphonse
Picard et Fils, Paris 1893, p. 333.
22. Marmont faisait imprimer les
décisions
importantes en quatre langucs :
français,
allemand, italien et "illyrien"
(slovène
ou croate).
23. En homme d'état pragmatique,
Napoléon
est également soucieux de ses
finances
comme le montre cette lettre qu'il
adresse à Gaudin, son ministre de
finances, le 9 février 1810 :
"...faites
connaître au duc de Raguse, que
j'approuve qu'il traite bien les Croates,
mais je ne veux pas que l'acquisition des
provinces illyriennes ajoute de nouvelles
charges à mon trésor. Elles
doivent
donner 12 millions de revenu net pour
payer les dépenses de
l'armée et de
l'administration générale.
En un mot,
elles et les troupes qui y sont
stationnées ne doivent absolument
rien
coûter au trésor public...
Dites-lui que
j'approuve ce qu'il propose pour la
Croatie militaire à l'exception de
sa
proposition de donner des armes à
tous
les Croates indistinctement et sans
être
assuré de leur
fidélité". (Lettres
Impériales, no 16231).
24. L'unique grand journal, le
Télégraphe
lllynien est un instrument de propagande
dont la plupart des articles sont dictés
par l'état-major de Marmont. Les
fonctionnaires, les maires, les juges,
les curés, sont obligés de
s'y abonner...
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Adriana Smajic
Glagol Press