Datée du 4 décembre, la lettre-réponse du Cardinal est sans mots durs; elle respire la miséricorde. Elle constitue la plus grande accusation de la conduite inhumaine du Parti, de ses règles et de sa conduite. Après une introduction courtoise dans laquelle il cite des références, il dit qu'il adresse cette lettre à "l'organe du pouvoir qui devait m'interroger". Il donne les raisons pour lesquelles il ne peut se rendre au poste de police:
"Des informations me sont parvenues, dit- il, selon lesquelles l'UDBA (police secrète) est en possession d'un certain nombre de mes lettres qu'elle a trouvées dans différentes régions et notamment au séminaire de Djakovo, où Ciril Kos était Directeur spirituel. Dans ces lettres, je répondais à des prêtres qui m'avaient présenté leurs vceux. Si l'on peut prouver que ces lettres sont vraiment de moi et ne sont pas des faux, alors je concède que je les ai écrites en ma qualité de Supérieur légitime des prêtres de mon Diocèse; je concède également avoir écrit à d'autres prêtres et à certains de mes amis, afin de les encourager. Si je dois sacrifier ma vie pour cela, je suis prêt à le faire car je ne me sens nullement coupable du fait d'avoir écrit ces lettres.
Ensuite, je ne comparaîtrai pas parce que, le 11 octobre 1946, j'ai été condamné par un tribunal populaire à seize ans de travaux forcés, et que j'ai été privé de ma liberté, tout d'abord par mon incarcération à la prison de Lepoglava, puis, comme c'est encore le cas à l'heure actuelle, par mon internement et mon assignation à la résidence forcée dans mon village de Krasic. Cette condamnation était un meurtre commis envers un innocent, et le monde civilisé tout entier a été d'accord là-dessus. Même des personnalités dirigeantes de la République Populaire Yougoslave l'ont concédé, lorsqu'elles rencontrèrent le professeur Ivan Mestrovic qui me rendit visite à Krasic dans le courant de cette année.
L'état actuel de ma santé est la conséquence directe de cette condamnation, qui a soulevé la réprobation du monde entier. J'ai passé treize ans. en prison puis en internement, et je suis parvenu, du fait de ma santé, aux bords de la tombe. Les médecins de notre pays et ceux de l'étranger ont entrepris tout ce qui leur était possible afin de prolonger ma vie; mais ils n'ont pas pu remettre à neuf ce qui qtait usé. Jusqu'à ce jour, ils m'ont prélevé trentequatre litres de sang et ce n'est pas; encore assez. Ils ont été contraints de m'opérer des deux jambes afin de me préserver d'une thrombose fatale. A la suite de ces opérations, je ne suis plus qu'un invalide qui se traîne avec une canne. De plus, depuis cinq ans, je souffre de la prostate. Malgré tous les remèdes, je ne vis pas un instant sans souffrir.
Je ne veux pas faire mention, pour le moment du moins, de la maladie dont j'ai souffert il y a deux ans et qui a incité la presse à déclarer que j'étais proche de la mort. Je ne veux pas non plus relever mes autres infirmités et notamment la bronchite dont j'ai souffert pendant quatre ans; lorsque le docteur Sercer demanda que je puisse, à cause de ce mal, effectuer un séjour au bord de la mer, cela me fut refusé. Mon état de santé est bien connu du clergé de Krasic et des religieuses qui doivent souvent passer des journées entières auprès de mon lit. Souvent, j'ai été contraint d'interrompre la célébration de la Messe, même le dimanche, du fait des douleurs intolérables que je ressentais. Chaque jour, je dois passer plusieurs heures étendu en surélevant mes jambes enflées, afin de faciliter la circulation.
Je sais que l'on fera l'objection suivante: les gardes vous voient aller à l'église, vous promener dans le jardin, parler avec les gens devant l'église. C'est entendu: si j'en suis capable, je me rends à l'église afin de remplir mes devoirs, mais cela m'est souvent impossible; si je puis le faire, je dis un mot édifiant ou quelques paroles d'encouragement aux fidèles et dans la mesure de mes forces, j'aide le curé de Krasic, aucun prêtre du voisinage ne pouvant lui apporter sa collaboration comme cela se faisait dans le temps. Il est également vrai que je me rends dans la cour pour y respirer un peu d air frais comme les médecins me l'ont conseillé, mais je m'y traîne tant bien que mal à l'aide de ma canne. J'ai également déclaré au médecin que je suis dans l'impossibilité absolue d'effectuer une promenade, non pas parce que cela m'est interdit, mais du fait de l'attitude des gardes qui me suivent à chaque pas que je fais.
Je combats l'idéologie du parti communiste, parce que je suis persuadé de son erreur et de sa fausseté, mais peut-on tirer de cette attitude la conclusion que je combats l'Etat? S'il est légal que le parti communiste yougoslave lutte depuis quinze ans contre l'Eglise catholique par le fer et par le feu, en détournant les gens de la fréquentation des églises, en empêchant le baptême des enfants, en rendant impossible la formation religieuse de la jeunesse et le mariage religieux; S'il est légal que le parti communiste détruise les écoles et les institutions catholiques, les imprimeries, les journaux et leurs propriétés, et qu'il commette de nombreux actes de persécution, comment peut-on me reprocher d'élever la voix pour défendre le dépôt sacré du catholicisme?