Mais si une délégation en invite une autre à un banquet, tous les délégués acceptent l'invitation et entretiennent avec leurs hôtes des rapports personnels courtois, sans que cela puisse être interprété comme la fin de leurs désaccords ou comme un aveu de l'acceptation du point de vue de leurs rivaux, ou comme une renonciation â leur propre point de vue. Les mêmes usages de courtoisie se pratiquent à l'occasion de l'envoi des notes de protestation de la part des gouvernernents et des réponses qui y sont faites, comme nous avons pu en lire ces derniers temps.
Ces notes et ces réponses font ressortir des désaccords ou de violentes critiques, néanmoins elles commencent et se terminent par les phrases traditionnelles de cordialité et de grande courtoisie. Les usages de courtoisie ne reflètent souvent pas l'état des faits. Pour cette raison, ils n'ont généralement aucune signification.
Il est vrai que l'Archevêque Stepinac rencontra quelquefois Pavelic, mais, l'expression conventionnelle de courtoisie mise à part, il le voyait afin d'intervenir en faveur des persécutés et de mettre fin aux crimes. I1 ne s'agit donc pas ici de collaboration ni d'action politique mais de contre- collaboration.
Le procureur lui-même, dans son acte d'accusation (page 3), cite le Secrétaire d'Etat du Saint-Siège, le cardinal Maglione, qui avait, encore en 1942, recommandé à l'Archevêque Stepinac "d'établir avec les autorités oustachistes des rapports plus cordiaux et plus sincères". Au cours du procès, nous avons entendu de la part du soi- disant maréchal et chef de l'armée Kvaternik - qui a été cité comme témoin par le procureur et non par moi - que l'Archevêque Stepinac était constamment "l'objet de la haine de Pavelic". Cette haine était telle que Pavelic n'a jamais mis les pieds à l'archevêché, en dépit du fait que le procureur mentionne certains banquets.
Cette haine avait déterminé aussi l'attitude hostile des oustachis à l'égard de l'Archevêque. Elle n'a jamais été un secret, car tout le monde à Zagreb la connaissait, et quelques preuves nous en furent apportées hier par certains témoins, surtout par le Dr. Hren et le Dr. Loncaric, dont la bonne foi et les sentiments anti-oustachistes ont été reconnus par le procureur. Ces témoins qui faisaient partie de l'entourage de l'Archevêque, nous ont révélé tant de détails sur la pensée et l'activité de celui-ci, que ces détails excluent n'importe quel soutien au régime oustachiste et au régime d'occupation, et n'importe quelle collaboration politique avec l'occupant et les oustachis.
Des nouvelles de l'attitude de l'Archevêque contredisant entièrement l'accusation - parvinrent également chez nos Alliés. J'ai soumis au tribunal un certain nombre d'informations données par la Radio de Londres en 1942 et 1943, où on avait enregistré la position prise par l'Archevêque contre les oustachis et constaté la bonne impression produite en Angleterre par ses discours. Je lui ai également remis le rapport du bureau de propagande oustachiste adressé au gouvernement oustachiste, où on attire l'attention de ce dernier sur le fait que les Alliés exploitent les discours de l'Archevêque contre ce gouvernement et contre tout le système oustachiste. Parmi les documents que j'ai soumis au tribunal, il y a aussi une lettre de Mgr Svetozar Rittig, en date de fin décembre 1942, dans laquelle Mgr Rittig reconnait la difficile et pénible activité de l'Archevêque, ses sacrifices et ses bienfaits en faveur du peuple, surtout en faveur de la population du Littoral Croate. Dans cette lettre, Mgr Rittig, en exprimant à l'Archevêque ses voeux à l'occasion de Noël, lui souhaite en même temps de franchir avec succès les embûches Charybde et Scylla. Mgr Rittig, qui était bien informé et très favorable au "Mouvement National de Libération", (NOP) n'aurait pas écrit. Ainsi, s'il avait eu le moindre doute sur la correction patriotique de l'Archevêque et sur l'utilité de son activité en faveur du peuple.