Le 13 septembre 1945, à l'ouverture de leur Conférence épiscopale, les Evêques adressèrent une lettre à Tito, par l'intermédiaire de Stepinac. Ils demandaient la révision de la loi agraire injuste, le respect du mariage catholique, la possibilité pour les prêtres de porter les Sacrements aux malades dans les hôpitaux et aux prisonniers. Ils espéraient que Tito trancherait enfin la question de la liberté de conscience. Ils exprimaient leur profonde conviction d'une possibilité d'accord et de paix entre l'Etat et l'Eglise, qui serait utile à l'un et à l'autre. Ils ne demandent, disaient-ils, qu'à pouvoir collaborer harmonieusement. La lettre rappelait aussi des faits douloureux tant de fois exprimés déjà.
Peu de temps après l'ouverture de la Conférence, on informa Mgr Stepinac de la liberté rendue à une des imprimeries catholiques: "Geste pour nous acheter!" dit simplement l'Archevêque.
Le 20 septembre, dernier jour de la Conférence, les Evêques rédigèrent une nouvelle lettre sur l'éducation athée qu'on fait subir à la jeunesse. Ils rappelaient aussi, à nouveau, les malheurs quotidiens et les représailles contre les religieux. En conclusion, ils accusaient l'idéologie matérialiste et demandaient le respect de la Foi catholique et de la morale chrétienne, la liberté de la presse catholique, des églises et des associations catholiques, de l'enseignement du catéchisme, de l'action caritative. Ils rappelaient le respect dû à la personne humaine et à ses droits naturels, le respect du mariage catholique eqt enfin, ils réclamaient le retour des Institutions confis uées.
LETTRE PASTORALE DES EVEQUES DE YOUGOSLAVIE (20-9-1945)
Nous, évêques catholiques, réunis en conférence plénière à Zagreb, considérons comme un devoir de notre ministère pastoral de vous adresser ces quelques mots à vous, nos très chers fidèles.
Après de longues années d'attente, voici qu'a pris fin cette guerre qui a ensanglanté l'humanité plus qu'aucune autre, dont on ait souvenance, ne l'avait fait jusqu'à ce jour. Notre pays n'a pas été épargné par un fléau dont les horreurs ont ravagé plusieurs fois les diverses régions de notre patrie: elles ont laissé après elles le désert, des monceaux de cendres et des torrents de larmes. Des régions entières ont été littéralement dépeuplées, d'innombrables familles détruites, de nombreux orphelins sont restés sans appuis, des multitudes de mères et d'épouses, de pères et de fils demeurent dans la désolation et le deuil. On peut dire que dans notre malheureux pays il n'y a personne qui ne pleure la mort de quelque membre de sa famille. Tous, enfin, nous avons ressenti les privations, la famine et les maladies que la guerre entraîne après elle.
Mais notre pays a été atteint plus gravement que d'autres par cette guerre mondiale. Des luttes sanglantes se sont livrées chez nous, hélas, entre des hommes qui étaient frères par le sang, et ce conflit fratricide qui a mis aux prises les membres d'une même famille a entraîné des conséquences particulièrement cruelles. Les dévastations de la guerre, par suite d'une double occupation des armées étrangères et des conflits intérieurs, ont donc atteint un degré qu'on trouverait difficilement dans n'importe quel autre pays.
Ainsi la nouvelle que la guerre était terminée dans le monde et chez nous a suscité dans notre peuple le besoin de remercier le Dieu tout-puissant, de nous avoir épargné le prolongement de la guerre et des luttes-fratricides.
La fin de la guerre a apporté de grands et profonds changements dans tous les domaines de la vie. Nous avons vu s'écrouler sous nos yeux tout ce qui constituait les fondements de notre vie quotidienne. L'Etat a reçu un nouveau nom, la "Yougoslavie fédérative démocratique". La législation, les fondements mêmes sur lesquels l'Etat repose ont été bouleversés. On désire évidemment avoir le moins de liens communs avec le passé: l'administration, la justice, l'enseignement, la propriété sont animés d'un nouvel esprit révolutionnaire.
Il n'est pas du ressort de l'Eglise catholique de donner à ses fidèles des directives sur la manière dont ils doivent régler les questions politiques, nationales et économiques, du moins tant que les solutions adoptées sauvegardent les principes généraux de moralité qui engagent tous les hommes. Dans les problèmes purement politiques, elle s'en tient à l'enseignement de son fondateur: "Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu" (Math. 22, 21).