Christophe Dolbeau: France-Croatie
FRANCE - CROATIE 9/23

C. Dolbeau
Deuxième parte

Le chapitre précédent nous a permis d'évoquer certains évènements et certains personnages qui ont spécialement marqué les relations entre la France et la Croatie au plan diplomatique et politique. Ce rapide panorama ne serait pas complet si nous omettions de nous intéresser aussi aux relations culturelles, c'est à dire à la littérature, aux sciences et aux arts, trois domaines où les échanges se sont, très tôt, développés...

Au Moyen-Age

Nous savons que les Français et les Croates se sont rencontrés pour la première fois lors du passage en Dalmatie de la lère Croisade (1096-1097), et que ce fut exclusivement l'occasion de s'affronter les armes à la main. La venue, en 1202, de la IVe Croisade ne marque aucun progrès (pillage de Zadar), et les chroniqueurs (Villehardouin) ou les trouvères (Conon de Béthune, Gui de Couci) se bornent à nous rapporter des exploits guerriers. Il est néanmoins permis de penser que c'est bien au XIIe siècle que l'influence intellectuelle française commence à se faire sentir, par le biais de jongleurs ("joculatores") qui sillonnent l'Italie, y croisent et y côtoient leurs homologues croates (35), avant de poursuivre leurs voyages vers les Cours de l'intérieur des Balkans. Il y a aussi les gyrovagues qui parcourent toute l'Europe en y colportant un peu de la culture de leurs régions d'origine (36), et, bien sûr, les quelques érudits que le goût de l'aventure a conduits sur les rives de l'Adriatique (37).

C'est au XIIe siècle, par exemple, que les premières saynètes françaises atteignent le diocèse de Zagreb, convoyées par des ecclésiastiques. Il s'agit de représentations liturgiques destinées à divertir et à édifier les fidèles, d'offices dramatisés que l'on célèbre sur le parvis des églises. Selon les médiévistes, ces pièces ont vraissemblablement été introduites en Croatie par des bénédictins ou des cisterciens de passage, comme ce "Tractus Stellae", joué à l'Epiphanie, et qui fut présenté pour la première fois à Rouen sous le titre de "Stellae Officium". Ces bénédictins sont également à l'origine de l'adoption par le clergé croate du rite liturgique dit "gorziensis", qui fut introduit en Hongrie au début du XIe siècle par l'abbé Ricard, un moine de l'abbaye de Gorze (près de Metz, en Moselle) (38). A propos de la même époque, certains spécialistes évoquent aussi l'influence, supposée plus que vraiment démontrée, qu'auraient eue les Bogomiles de Bosnie sur les Cathares du Sud-Ouest de la France et les Patarins de Lombardie. Dans une lettre de 1223, le légat du pape Conrad d'Urach s'en prend par exemple à l'évêque albigeois Barthélémy de Carcassonne et aux hérétiques qui ont reconnu comme pontife "un hérésiarque résidant sur le territoire des Bulgares, en Croatie et Dalmatie" (39).

35. C'est probablement à l'un de ceux-ci que pense Dante Alighieri lorsqu'il évoque "Qual è colui che forse di Croazia / viene a veder la Veronica Nostra / che per l'antica fame non sen sazia" (Paradiso, XXXI , 103-105).

36. Le moine franc Gottschalk, qui vécut au IXe siècle, est un bon exemple de ces gyrovagues. Venu de l'abbaye d'Orbais (près de Chateau-Thierry), il aborda en Dalmatie vers 846-847 et y assista aux batailles que se livraient alors le roi des Croates Trpimir I et les Byzantins. Cf. Benediktinac Gottschalk iz Orhaisa na dvoru Kneza Trpimira I, Bozidar Vidov, Toronto 1984 ; Gottschalk, hôte de la Croatie médiévale, Ch. Dolbeau, Matos n° 6-1985.

37. Thomas l'Archidiacre ("Historia Salonitanâ') mentionne par exemple un certain Adam, "quidam parisiensis", qui vécut quelque temps à Split (fin du XIe siècle) où il travailla à la mise en forme poétique de vieilles chroniques locales.

38 Cf. Les mots d'emprunt français en croate, Branko Franoliæ, NEL, Paris 1976, p. VII.

39. Baptisé "episcopus Sclavonie sive Bossone" par Anselme d'Alexandrie ("Tractatus"), cet hérésiarque portait le titre de "djed". Cf. Les chrétiens bosniaques et le mouvement cathare, F. Sanjek, Université Paris IV, 1976.

Au XIVe siècle, le Pape Benoît XII entreprit de ramener les Bogomiles au sein de l'Eglise catholique et il chargea les franciscains de cette délicate mission. Le général des françiscains, le Français Gérard Odonis, rencontra donc le Ban Stjepan II Kotromaniæ avant de créer le Vicariat de Bosnie (4 juin 1340.). Des prédicateurs renommés accoururent de toute l'Europe et parmi eux un certain nombre de Français dont le frère Déodat (de Riez, en Provence ou bien de Rodez) qui fut le compagnon de Saint Nikola Tavelic;. Cf. Bogomilska Crkva Bosanskih Krstjana, D. Mandiæ, Chicago 1962, et du même auteur Franjévacka Bosna, Roma 1968.

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